« Ce sont toujours des histoires de ma vie que je dessine ». Gardien d’immeuble, coureur de grand fond et finalement artiste. De son cheminement hors du commun, Christophe Girerd a fait sa force. S’il se plait dans les rangs des arpenteurs de bitume sans le sou et des laissés-pour-compte, il fréquente sans complexe les plus aisés, refusant les barrières et les cases de toutes sortes. Des sous-sols de notre société aux sommets enneigés des courses d’ultra-endurance, il s’est taillé, à force de rencontres et d’expériences, un costume de passe-muraille avec lequel il évolue d’un monde à l’autre. Visite de ces univers dont il nourrit ses œuvres.
L’ultra-endurance : Dans les années 2000, Christophe Girerd met l’art entre parenthèses et se plonge corps et âme dans le sport. Pendant une dizaine d’années, il repousse ses limites mentales et physiques en participant à certains des épreuves les plus longues et les plus difficiles organisées en France. A vélo, il dispute le Paris-Brest-Paris, en courant il s’aligne sur les 100 km de Millau, la SaintéLyon ou l’Ultra Trail du Mont-Blanc.
« L’ultra m’a marqué à vie. Sur les routes et les chemins, j’ai appris la persévérance et me suis forgé un mental d’acier. Des enseignements qui me servent désormais au quotidien dans le cadre de mon processus créatif. »
Si ces escapades au long cours sont des prétextes à la solitude et à la paix de l’âme, elles sont également sources de rencontres. L’une d’elles en particulier, avec le trailer népalais Dawa Sherpa, est déterminante.
« Ce n’est pas seulement, un pionnier et un champion de sa discipline, c’est un exemple de simplicité et d’ouverture d’esprit. Son rapport à la vie emprunt de philosophie bouddhiste est pour moi une source d’inspiration. Il est le seul à m’avoir fait comprendre que j’étais porteur de quelque chose de positif et qu’il ne tenait qu’à moi de le faire éclater au grand jour. Je garde en mémoire une phrase qu’il m’a confiée : chacun de nos pas est un dessin qui s’évapore à mesure que nous avançons ».
Mais un jour, le plaisir disparaît et Christophe Girerd cesse brutalement toute activité physique.
« En prenant le départ de ma dernière compétition, je savais que tout était fini. Je n’irais pas jusqu’au bout. J’avais passé un cap. C’en était terminé de l’ultra, un autre monde s’ouvrait à moi ».
Toutefois, cette rupture le plonge d’abord dans la dépression. L’art redevient son exutoire.
La montagne : Parce que c’est le lieu de ses prouesses sportives passées, mais également pour son esthétisme et sa tranquillité, Christophe Girerd conserve une affection particulière pour Chamonix et ses environs.
« Je ne suis pas plus prolifique en montagne. Quand l’environnement est trop beau, il n’y a plus rien à dire.
En revanche, les paysages me procurent un bien-être que je ne retrouve nul par ailleurs. J’essaye d’emmagasiner la quiétude, le silence, la simplicité qui en émanent pour gonfler mon inspiration une fois de retour chez moi ».
La ville et la rue : Lieu de naissance de Christophe Girerd, de ses études, mais également de ses dérives, Lyon est aujourd’hui devenue un allié essentiel de son aventure artistique. Des pentes de la Croix-Rousse aux eaux grises de la Saône en passant par la colline de Fourvière, il puise dans la ville l’énergie vitale qui alimente son travail. Il capte également avec empathie le regard de ses habitants avec une préférence pour les déshérités, les vagabonds et les gueules cassées, pointant du doigt du même coup l’arrivisme, la course au matérialisme ou la reproduction des modèles sociaux établis.
« J’éprouve un attachement viscéral pour ma ville et pour les gens qui y vivent. Ils forment une entité aux visages multiples sur laquelle, il y a toujours des choses à dire, à sublimer ou à dénoncer ».
S’il ne compte pas officiellement parmi leurs représentants, Christophe Girerd se nourrit de la spontanéité et de l’insoumission des graffeurs particulièrement actifs et créatifs à Lyon.
« Plus largement, c’est toute la culture liée au street art que j’apprécie. Le détournement des objets, le recyclage, le collage sont des techniques que j’emploie régulièrement dans le cadre de mes créations ».
La loge : Gardien d’immeuble, Christophe Girerd a établi son atelier dans le secret de sa loge. « Un rez-de-chaussée sans lumière et 60 centimètres de recul », précise t-il. Pour s’être affranchi des stéréotypes liés à sa profession, il a souvent déclenché l’incompréhension voire la suspicion.
« Comment un concierge peut-il comprendre Tàpies se demandent les gens. Ce n’est pas normal. Et pourtant, il suffit d’être sensible et ouvert d’esprit. Ce ne sont pas des qualités réservées à une frange de la population que je sache. Mais, à vrai dire, si les riches les possèdent ça me rassure ! » s’amuse-t-il aujourd’hui avant d’ajouter : « A vrai dire, je n’en veux à personne. Lorsqu’on sort du cadre, on est souvent montré du doigt. Cette expérience n’a fait que renforcer ma confiance en moi. Aujourd’hui je sais qui je suis et où je souhaite aller. »